Cyril ETESSE

Cyril ETESSE

COMEDIEN HUMORISTE



François Rollin raccroche... Et c'est triste

31 juillet 2017

 

Il y a quelques jours, on apprenait un peu par hasard au détour d'un article, que l'immense François Rollin, plume de génie et humoriste passé maître dans l'art de l'absurde poétique, décidait de mettre un terme à sa carrière sur scène...

La faute à, lit-on, une situation difficile. Il aurait vendu très peu de dates pour l'année prochaine et si son style recueille les éloges de la profession, il ne permet manifestement pas de remplir les salles. Il est vrai que François Rollin ne joue pas dans la même cour médiatique que les stars comme Gad Elmaleh ou les Chevaliers du Fiel, pour ne citer que quelques personnes qui triomphent et sont invités ou vus régulièrement à la télé, mais il reste malgré tout un des pilliers de notre profession, souvent cité en référence par de nombreux artistes et infiniment respecté. De là, on se dit que soit l'article qui annonce son retrait est un "fake", soit il cache une pirouette destinée à camoufler un buzz quelconque... Manifestement, ce n'est ni l'un ni l'autre...

 

J'ai découvert François Rollin sur le tard. N'ayant jamais vraiment regardé "Palace" à l'époque, je suis passé à côté du personnage. C'est en essayant d'élargir ma culture scénique en matière d'humour que je me suis intéressé au bonhomme il y a une dizaine d'années au moins. Et franchement, j'aime beaucoup. Alors oui, on ne rit pas aux éclats tout de suite. On ne rit pas aux éclats tout le temps. Parfois on écoute et on sourit plus qu'autre chose. Mais il y a cette diction et ce trait d'esprit qui scotche au propos et qui dévoile une inventivité, une culture et une folie à laquelle je suis sensible.

Après, il parait évident que dans une époque où il faut consommer le rire (il faut rire vite, facile et à des trucs aisément compréhensibles), l'humour de Rollin est presque extraterrestre. Pas assez grand public. Pas clivant. Mais pas grand public. Dans le même genre, et c'est authentique, j'ai participé à une émission de TV pour faire un peu de promo il y a quelques temps. L'émission, dont je tairai le nom, était assez "spéciale", pas très fine et destinée à un public plutôt... jeune on dira... et peu enclin à une forme de culture. On m'avait demandé de jouer le jeu et de griffoner quelques vannes que je placerais dans l'émission. Je me suis gentiment exécuté et j'avais envoyé mon texte à la production. Celle-ci avait beaucoup ri et apprécié et puis elle m'a conseillé vivement d'enlever une des dernières vannes. J'y évoquais (comme dans mon spectacle) le bousier, ce petit insecte qui pousse sa boule de merde, en le comparant à certaines émissions actuelles du PAF... Je ne voyais pas le souci mais on m'a expliqué, un peu avec honte et amusement à la fois, que le public spectateur de ladite émission était un peu jeune et manquait de culture (pour ne pas dire autre chose) au point de ne sûrement pas comprendre cette blague ne sachant pas ce que c'est qu'un bousier...

J'avais envie de dire qu'au moins ils chercheront sur Internet, mais peine perdue...Voilà où on en est aujourd'hui. Ne surtout pas tenter de mettre des mots ou des termes intelligents sous peine de perdre du monde. C'est peut-être ce qui arrive à François Rollin, trop absurde, poétique et imagé... moins dans le rire gaulois et direct, mode indiscutable et règle d'or du stand-up où il vaut mieux parler de ses dernières petites copines, ses chaussettes trouées ou des séries américaines du moment que de la dernière tragédie produite à l'autre bout de la planète, saupoudrée de critique sociale contemporaine ou de références par trop culturelles (élitistes diront certains)... Bien sûr qu'on peut quand même le faire ! Mais ça ne fera pas rire tout de suite, ni tout le monde. Ça ne fera pas vendre de DVD en masse tout de suite, ça ne fera pas de record d'audience. Ça ne remplira pas des Zenith et des Bercy 6 mois avant la première du show, comme Gad et Kev ont pu le faire en montrant juste une affiche, sans une ligne de spectacle encore écrite... juste sur le potentiel de leurs noms réunis... Ça n'est pas rentable... L'humour ne semble plus pouvoir se permettre le luxe d'être un art. Il doit permettre de rentabiliser une dépense... Vite si possible.

Ce sont deux mondes différents. Pas éloignés ni scindés (il est stupide et vain de vouloir, comme j'ai pu le lire dans une certaine Presse, opposer des humours divers qui s'adressent à des publics divers). Juste différents... Et il est dommage qu'un monde, au nom de la réussite financière, des présences systématiques à la Télé ou au cinéma, ait raison d'un autre, peut-être plus cérébral. Pas meilleur, ça c'est à chacun de se faire son avis selon ses goûts. Mais assurément plus original et inattendu.

 

Monsieur Rollin, vous êtes courageux d'oser dire "ça ne marche pas, j'arrête" à l'heure où tout le monde dit qu'il cartonne alors que les salles parisiennes remplissent à coups d'invitation ou de places à 3€ sur billetreduc des créneaux horaires payés par les artistes et productions à un prix élevé... Il faut du courage pour dresser le constat du climat autour de notre métier, que tout le monde croit florissant parce qu'une poignée cartonne effectivement.

Il est dommage de ne finalement plus pouvoir faire cohabiter tous les styles d'humour de nos jours, à cause d'une époque qui ne prend plus la peine de se cultiver ou de s'intéresser... Dur de se dire que peut-être bientôt, on ne pourra plus rire que de la dernière série américaine (que tout le monde n'aura en plus pas vu...) ou des crises de couples... Remarquez, on y est un peu déjà : les café-théâtres ne programment plus que ça...

Commentaires

Magali Serre
07 août 2017  12:03
Un billet très vrai qui retrace bien toutes les émotions ressenties à cette annonce: incrédulité, tristesse, incompréhension, indignation. François Rollin, je l'ai découvert et adoré dans Palace alors que j'avais 7 ou 8 ans. Comme quoi, il ne faut pas une culture extraordinaire pour adhérer à son univers. [Mais il est vrai que "La minute nécessaire de Monsieur Cyclopède" m'avait déjà fascinée quelques années plus tôt, alors que, ne comprenant pas tout, mes parents devaient m'expliquer les vannes.] C'est une partie de mon enfance et j'ai bondi de joie quand on m'a offert ses DVD ou une place pour son spectacle (dans une salle petite certes, mais bondée des semaines à l'avance, soit dit en passant). Ma cousine s'est fait un devoir de faire découvrir François Rollin à son compagnon australien et... il adore! Donc l'argument du public de niche est très exagéré à mon sens. En fait, l'ennemi de Monsieur Rollin reste la bien-pensance: Les salles estiment que son humour est trop élitiste, clivant et donc peu rentable. Du coup elles ne le programment pas car "leur public n'est pas assez bon/intelligent". La vérité c'est que les directeurs de salles n'ont plus le courage de tenter de faire découvrir des artistes qui sortent du lot, au risque ne ne pas rentrer dans leurs frais. Mais si le public ignore qu'il existe autre chose que l'humour mainstream comment pourrait-il le réclamer? C'est le serpent qui se mord la queue. Le nivellement par le bas exercé par la bien-pensance "du haut" et la rentabilité.
Cyril ETESSE
07 août 2017  10:29
@ Katy : C'est un bon exemple. Je dirais qu'Astier est un peu dans la même cour qualitative et exigeante, mais qu'il ne fait pas de la scène son métier principal. Il est occasionnel. Rollin me paraissait davantage focalisé sur le spectacle vivant que sur ses autres talents mais peut-être est-ce erroné. Quoiqu'il en soit, les deux sont rares.
Katy Michellod
07 août 2017  10:29
Je trouve ton billet très intéressant. Je suis triste pour Monsieur Rollin. Maintenant je resterais peut-être plus optimiste en voyant l'exemple d'Alexandre Astier. Il a fait 2 spectacles hallucinants de qualité: que ma joie demeure et l'exoconférence. Pas des sujets forcément simples. Il me semble que les salles étaient pleines. Qu'en penses-tu? Est-ce un bon contre exemple?
Arsène Budé
07 août 2017  10:28
Billet très vrai en ce qui concerne la situation de l'humour en France. On se demande si l'on peut rire de tout : la réponse du stand-up et de l'humour discount est non. On ne rit que sur des sujets "à la mode". Les sketchs s'écrivent et se jettent aussitôt à la poubelle ; rien ne reste dans les mémoires, aucun modèle qui inspirerait une véritable vocation d'humoriste. Un rire immédiat sans gravité trône sur la scène, et tout un pan de nos mœurs qui prêterait à la satire reste en déshérence. Le problème de Rollin a été peut-être de n'avoir été compris que par des spectateurs aguerris. L'ironie et l'absurde, qui nécessitent du temps et de la culture, vont à l'encontre de la manière dont le public est aujourd'hui considéré (et a été peu à peu, à cause du marché humoristique, transformé). Ce que je crains, pour Rollin comme pour tous les humoristes comme vous qui méritent qu'on s'en souvienne, c'est l'oubli. Un artiste travaille pour l'avenir aussi, mais est-ce que cet avenir est à la hauteur du vœu dans lequel il a placé tous ses espoirs : mémoire et perpétuation de son art ? Drôle d'époque... Rollin a raison de s'en indigner.
MARYSE MULLER
07 août 2017  10:14
Et bien J'avais des difficultés à mettre des mots sur ma déception de voir François Rollin jeter l'éponge d'une partie de sa carrière, merci de l'avoir fait pour moi


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