Mercredi 7 janvier 2015. La matinée se déroule d'abord comme beaucoup d'autres. Petit déjeuner, parcours des réseaux sociaux, réflexions d'écriture... Et puis, comme tout le monde ce matin-là, la nouvelle est prise de plein fouet. Au début, on discerne mal ce qui se dit précisément et on imagine qu'il y a eu une attaque sur les locaux de Charlie Hebdo comme il y en a déjà eu par le passé. On soupire et on se dit "Et allez... Encore". Et puis on lit un peu mieux quand on voit l'insistance qui se fait sentir et qui envahit la toile. On parle d'une dizaine de morts, d'un attentat, d'un policier froidement abattu, de vidéos qui commencent à tourner... Et les premiers noms des victimes qui tombent. Parmi elles Charb, Wolinski... Des noms qui ont marqué des générations. Qui ont marqué des vies. Et un autre encore qui me retourne. Cabu.
Pour moi, qui suis né en 1975, Cabu, avant d'être ce caricaturiste satirique, pinçant et affectueux, c'était le camarade de jeu de Dorothée. En passant 10 ans de ma vie devant Récré A2 dans les années 80 sur Antenne 2, j'ai forcément été fasciné par le trait, la malice mais aussi la timidité touchante de ce drôle de dessinateur à la coupe au bol le faisant passer pour un petit garçon qui refuse de grandir. Cabu, pour qui est de ma génération, c'est une de ces icônes de la télé. Un artiste de vocation qui en a peut-être insufflé beaucoup d'autres. J'ai fait beaucoup de BD, de caricatures à une époque de ma vie, m'amusant à parodier mon entourage. Ça me vient peut-être de Cabu. De sa façon si mémorable et touchante de croquer sur papier le nez de Dorothée, la faisant évoluer au milieu de tous les personnages qui ont marqué notre culture : le grand Duduche, le beauf etc.
Aujourd'hui, il n'y a pas de mots. Il n'y a rien à ajouter qui n'ait été dit. Tout le monde s'accorde à dire que Cabu, comme ses camarades lâchement assassinés, était un vrai gentil. Quelqu'un dont le seul tort aux yeux d'illuminés, aura été de laisser libre court à sa liberté d'expression, au détour de dessins parfois provocateurs.
L'acte barbare qui a ôté la vie à ces gens ce jour, n'est même pas qualifiable. Il y a de la tristesse parce que dans le climat épouvantable qui règne dans notre pays en ce moment, on imagine très vite que de las raccourcis vont être faits, qu'on va encore faire des amalgames...
Je suis profondément choqué par le geste. Par cette nature animale qui prend le dessus sur l'humaine et qui pousse des gens à tuer. On vit dans un pays où chaque jour tout semble fait exprès pour nous dresser les uns contre les autres. Il n'y a pas un jour depuis quelques mois où on nous parle pas de religion, de race, de couleur, faisant toujours les mêmes raccourcis dont n'ont plus qu'à se gargariser les extrêmes. En mettant tout cela en avant, nous avons perdu la notion même d'être humain. Nous ne savons plus vivre ensemble et respecter l'autre. Nous ne voyons plus que de vaines différences sans plus voir ce qui unit. Nous ne savons même plus rire ensemble.
Je suis toujours sensible aux horreurs qui se présentent à nous, mais j'essaie de faire avec, comme tout le monde, en utilisant l'humour à mon petit niveau. Aujourd'hui, en plus, j'ai pleuré.
Et puis j'ai vu toute la journée ces mouvements. J'ai bien lu des réactions à la con isolées, mais j'ai surtout vu des dizaines de messages d'espoir, venant de plein de gens différents, de gens aux religions diverses, aux croyances diverses et pourtant, aux propos qui convergent vers le même souhait optimiste. Je vois des marches, des appels à ne pas mettre le genou à terre... Des comportements et des messages de rassemblement qui font penser que, peut-être, si on se regarde et si on se tend un peu plus la main, on peut se retrouver sur l'essentiel : l'humain. L'autre.
Aujourd'hui, peut-être, que Cabu et ses copains ne sont pas morts pour rien... Aujourd'hui, peut-être, nous-mêmes allons redevenir vivants... C'est un souhait sincère...